LAM aux REAF 2024 (Rencontres des Études Africaines en France)

LAM aux REAF 2024 (Rencontres des Études Africaines en France)

Du 1 au 4 juillet, s’est tenue à Nice la 8ème édition des REAF (Rencontres des Études Africaines en France). Plus de 300 personnes liées au monde des recherches africanistes se sont rendues au colloque. Plusieurs membres de LAM ont pris part à ce rendez-vous au sein des différents ateliers, des présentations de revues au salon des éditeurs et lors de projection de films.

Voici un résumé des travaux présentés.

  • Atelier 7. DAKAR, VILLE REFUGE (1960-1990) | Lire
  • Atelier 12. L’échec des réformes pénitentiaires en Afrique : et après ? | Lire
  • Atelier 21. LES NOURRITURES DE L’AFRIQUE DE L’OUEST AUX PRISMES DES DÉFIS ECOLOGIQUES ET DE L’AFFIRMATION D’UNE IDENTITE CULTURELLE | Lire
  • Table ronde : Visas et terrains empêchés : comment agir ? | Lire
  • Table ronde des Revues (Amphithéâtre 3) | Lire
  • Table-ronde : « Les écritures alternatives : un renouvellement des enjeux épistémologiques et éthiques pour la recherche en Afrique ? » | Lire

Retrouvez la liste et le résumé de tous les ateliers sur le site des REAF 2024 : https://reaf2024.sciencesconf.org/data/pages/Final_version_Ateliers_REAF2024_Nice.pdf

Atelier 7. DAKAR, VILLE REFUGE (1960-1990)

Elara BERTHO, Ophélie RILLON, Etienne SMITH, Ana Carolina Coppola

L’idée de cet atelier est née du constat que plusieurs pistes se croisaient de Bamako et Conakry vers le Sénégal, vers Dakar. Qu’elle qu’ait pu être la sévérité de la répression au Sénégal contre les opposants, et le fait que le régime politique sénégalais ait lui-même généré son propre lot de prisonniers et d’exilés, le pays, n’en a pas moins accueilli les opposants de pays voisins. Dakar a fonctionné, de l’indépendance aux années 1990, comme une ville refuge pour des femmes et des hommes venus d’Haïti, du Maroc, du Mali, de Guinée, de Guinée-Bissau, etc. Certains avaient occupé de hautes fonctions politiques dans leurs pays, d’autres étaient des intellectuels, des artistes, des journalistes. Leur présence à Dakar a contribué à faire de la capitale sénégalaise un véritable espace transnational, vecteur du panafricanisme, plaque tournante des idées et des récits.

En croisant les sources (archivistiques, orales, littéraires, photographiques…), ce panel s’est intéressé aux connexions et aux réseaux mobilisés par ces personnes en exil : pourquoi se tourner vers Dakar plutôt qu’Abidjan ? Des attaches familiales forgées au fil de l’histoire des circulations transrégionales, des réseaux militants anticoloniaux, des liens professionnels peuvent constituer autant de leviers de mobilité qui ont été éclairés. Les conditions d’accueil proposées par Senghor (un emploi, un logement) ont également pu orienter les routes de l’exil et contribué à forger des sociabilités cosmopolites que ce soit à l’université, dans les quartiers résidentiels des SICAP ou dans les entreprises culturelles et artistiques créées par les exilés.

Ce panel invitait ainsi à explorer la vie quotidienne, tant matérielle qu’affective, et les liens d’amitiés qui fédéraient ces familles exilées dont témoignent leurs correspondances personnelles ainsi que leurs collaborations artistiques et culturelles, contribuant à forger un univers culturel sénégalais foisonnant, ouvert à toutes les influences transnationales et transimpériales.

Comment le foyer dakarois se connectait-t-il aux autres pôles panafricains (Alger, Accra, Le Caire, Conakry, Dar es Salaam, Casablanca…) ? Comment le gouvernement sénégalais régulait aussi ces populations (avec des politiques d’accueil mais aussi d’expulsions, notamment de militants européens) ? le panel a permis d’analyser l’ambiguïté d’un régime qui jusqu’en 1974 a produit des exilés tout en accueillant celles et ceux de pays voisins.


Dakar, ville refuge pour les Guinées (1960-1980) : à partir des dossiers de l’école de police de Dakar

Bertho Elara

Cette étude explore le rôle de Dakar comme refuge pour les Guinéens sous la Première République de Sékou Touré (1958-1984). Les archives des Renseignements généraux sénégalais révèlent que les Guinéens étaient étroitement surveillés, avec des notes de renseignement documentant les vagues de migrations saisonnières, les exilés politiques, les intellectuels et les petits commerçants.

L’analyse examine les tensions diplomatiques entre la Guinée et le Sénégal dans le contexte de la Guerre froide, mettant en lumière les périodes d’oppositions et de réconciliations. Elle suit également des trajectoires d’intellectuels guinéens ayant trouvé refuge à Dakar, tels que Djibril Tamsir Niane et Camara Laye. Enfin, l’étude met en évidence un cas atypique reliant des événements « faits divers » entre la Guinée et le Sénégal, symbolisant les tensions complexes entre les deux nations.

Dakar métisse et lusophone ?

Ana Carolina Coppola

Roland Colin, auteur de « Sénégal notre pirogue », a mis en lumière les dilemmes de Léopold Sédar Senghor face au métissage, décrivant un homme tiraillé entre ses convictions et la difficulté à les concrétiser pleinement. Senghor, figure majeure de la négritude, revendique ses origines métissées, alliant des racines chrétiennes, sérères et portugaises. Bien que fervent défenseur de l’idée de métissage, il n’a pas toujours réussi à en incarner la vision harmonieuse qu’il aspirait à créer.

Cette communication explore les enjeux du métissage chez Senghor à travers son projet de communauté luso-afro-brésilienne, examinant son intérêt pour le lusotropicalisme de Gilberto Freyre, une théorie valorisant l’harmonie entre les cultures colonisées et portugaises. Elle analyse les ambiguïtés de ce métissage, oscillant entre discours anticolonial et soutien implicite à des rapports de force inégaux. Elle prend appui sur des sources numérisées à Dakar, notamment aux Archives Nationales du Sénégal, et retrace les relations de Senghor avec des intellectuels lusophones et francophones, mettant en lumière l’impact de ses idées entre les années 1960 et 1980.

Familles militantes maliennes et burkinabè en exil à Dakar (années 1970-1980) : entre intime et politique.

Ophélie Rillon

Au lendemain du coup d’État militaire au Mali de 1968 puis de celui de Thomas Sankara au Burkina en 1984, des militantes et militants de ces deux pays prennent la route de Dakar et s’y installent en famille.

Les présidents Senghor et Diouf offrent un accueil paradoxal à ces familles d’opposants « révolutionnaires » ou « marxistes » qui ne partagent pas toujours les choix politiques des dirigeants sénégalais. Cette recherche souhaite ainsi explorer les sociabilités militantes en exil et la façon dont se réagence la vie de ces opposant·es (tant familiale que politique) loin de leurs pays.

Quelles relations militantes, intellectuelles, affectives se nouent avec les autres diasporas en exil et avec les militant·es du Sénégal ? Comment construire la lutte depuis l’extérieur ? Comment se renégocient la division sexuée du travail militant et familial en contexte d’expatriation. En partant de l’étude de quelques trajectoires familiales, cette communication vise à explorer les connexions militantes ouest-africaines à partir d’une échelle locale (la ville de Dakar) et intime (les relations affectives et familiales).

Atelier 12 – L’échec des réformes pénitentiaires en Afrique : et après ?

Responsables d’atelier : Berrih Carole et Fischer Bénédicte

Présentation de l’atelier :

Les prisons africaines sont classiquement considérées à travers les violations des droits humains, analysées par la mesure des écarts entre les normes juridiques et les pratiques (Morelle et Le Marcis, 2016).

Un constat d’échec des réformes pénitentiaires en découle, inscrit dans un constat plus général de celui des réformes de la justice, notamment expliqué par l’externalité de la procédure de production des réformes (Darbon, 2003 ; Bouagga, 2016) ou la méconnaissance des contextes d’intervention et la mise en œuvre de réformes standardisées (Olivier de Sardan, 2021 ; Bernard, 2022).

Malgré ces réflexions, une simple approche en termes de « dysfonctionnements » perdure dans la mise en œuvre des différents projets de développement, obérant toute réflexion quant à une possible refondation du cadre juridico-administratif. En prenant le contre-pied de l’exclusion des sciences juridiques des réflexions sur le champ pénitentiaire, car pensées comme limitées dans les méthodes et dépendantes de notions forgées et diffusées dans des logiques d’extranéité, le présent atelier vise à ouvrir un espace de discussion interrogeant le rôle du droit dans les dynamiques d’action publique à partir des questions carcérales.

Alors que les voix des personnes détenues et les réalités carcérales sont souvent négligées par les politiques publiques (Morelle, 2021 ; Fischer, 2022), pourraient-elles être considérées pour repenser le contexte normatif ? Les méthodes de collecte de données sont-elles adaptées à cette fin ? Face aux questions sécuritaires et les difficultés d’accès aux établissements pénitentiaires, des dynamiques participatives doivent-elles être encouragées dans le domaine juridique ? Plus encore, est-il même du ressort du droit de saisir les réalités carcérales afin de les traduire en normes « correctives » ?

Dans la continuité d’une dynamique de recherche-action portée par le laboratoire de recherche CERDAP² depuis 2018 en Côte d’Ivoire (Bernard et Fischer, 2021 ; CERDAP² et al, 2020), cet atelier cherche à explorer différentes pistes de réflexion par la confrontation des regards disciplinaires et des expériences de plusieurs Etats.

La déconnexion entre le droit et la réalité comme ressource : l’exemple de la réforme de travail d’intérêt général en Ouganda

Chloé OULD AKLOUCHE

La plupart des travaux ont une lecture des politiques publiques et des prisons en Afrique « par le manque » en insistant sur les défaillances, les dérives et l’insuffisance des ressources (Enguéléguélé 2008, Deslaurier 2019). Cette communication propose une grille de lecture alternative en montrant que dans un domaine régalien comme la justice pénale, les écarts entre les textes de lois et les pratiques peuvent être une ressource pour la production de l’action publique par les acteurs nationaux.

Cette communication s’appuie sur le cas de la politique de travail d’intérêt général (TIG) en Ouganda. Cette peine non-privative de liberté avait été présentée comme l’instrument idéal pour réduire la population carcérale dans les pays africains (conférence de Kadoma 1997), qui a pourtant triplé en Ouganda depuis son introduction. Elle consiste à condamner les personnes ayant commis des délits mineurs à travailler gratuitement au bénéfice de la communauté, principalement des tâches de nettoyage. L’intérêt de cet objet pour l’atelier est double. L’implication d’acteurs locaux dans l’ensemble des phases de conception de la politique des TIG invite à aller au-delà de l’attribution des « échecs » à l’extranéité (Darbon 2003) ou à la méconnaissance du contexte (Olivier de Sardan 2021). Pour autant, le décalage entre le texte de loi adopté et la réalité est très fort : il n’y a ni structure ni budget pour la mise en œuvre du TIG après l’adoption du texte en 2000 et aujourd’hui encore, les conseillers de TIG ne sont présents que dans 97 districts sur les 135 du pays.

Cette présentation vise à questionner « l’outil » droit dans la réforme pénale introduisant la peine de travail d’intérêt général en Ouganda en adoptant une approche sur le temps long (Bouagga 2019). Le cadre théorique mobilise des travaux de sociologie de l’action publique et de sociologie de la justice.

Atelier 21. LES NOURRITURES DE L’AFRIQUE DE L’OUEST AUX PRISMES DES DÉFIS ECOLOGIQUES ET DE L’AFFIRMATION D’UNE IDENTITE CULTURELLE

Responsable de l’atelier : Debbiche Mathilde

Présentation :

Montée des eaux, sècheresse, Grands Lacs africains menacés par les explorations pétrolières, trafic du bois : Comment les pays d’Afrique de l’Ouest font-ils face à ces défis écologiques ? Régions anciennement colonisées, peut-on considérer que ces questionnements écologiques sont le résultat d’une domination coloniale attestant l’hypothèse du néo-colonialisme ? Et comment lier ses défis écologiques à l’affirmation d’une identité culturelle ouest-africaine post-coloniale qui se comprend notamment à travers les pratiques culturelles culinaires ? Thiéboudienne, Poulet Yassa, Riz Jolof, Foufou, plats disposant d’une renommée internationale grâce à une diaspora ouestafricaine – ne sont-ils pas en périls compte tenu des catastrophes écologiques ? Et, par conséquent, ne remettent-ils pas en cause l’affirmation de l’identité culturelle ouest-africaine ? En somme, comment l’Afrique de l’Ouest pense-t-elle son futur propre entre défis écologiques et nécessité d’affirmation culturelle qui a été déniée pendant la violence de l’époque coloniale ? Cet atelier se propose de comprendre l’impact de la colonisation sur les écologies ouest-africaine, mais aussi de comprendre de façon politique et sociale comment elles relèvent ou non ses défis.

La première proposition de Marine Scandella portera sur une étude féministe des plats traditionnels ivoiriens. Foutou, poisson fumé, comme étant à la croisée d’une affirmation culturelle identitaire ainsi que d’un problème de santé publique majeur puisque les femmes-cuisinières sont les plus exposées à la pollution de l’air intérieure issue des fumées de combustion. De plus, l’utilisation plus ou moins intensive de ses biocombustibles sont associés à des pratiques de déforestation remettant en cause le traditionalisme de la cuisine ivoirienne. Dans un second temps, la proposition de Louise Barré consistera à étayer les différentes explications socio-anthropo-historiques de la consommation alimentaire en Afrique de l’Ouest. A la croisée des expériences coloniales, des transferts culturels continentales entre le IIIe et IIe millénaire avant notre ère, l’objectif sera de montrer comment certains produits peuvent servir de base à un imaginaire politico-colonial – mais pas uniquement – qui façonnent les choix alimentaires en Afrique de l’Ouest. Enfin la dernière proposition de Marie-Christine Cormier-Salem s’interrogera sur les liens entre patrimoine, territoire et identité à travers l’exemple des femmes joola de Basse-Casamance au Sénégal, qui maîtrisent la chaîne de valeur des huîtres de mangrove. L’objectif étant de re-visibiliser ce savoir et savoir-faire féminin pour comprendre le territoire comme un biome nourricier forgeant une nouvelle identité.

Autour des choix alimentaires. Revue de littérature sur l’histoire des goûts en Afrique.

Louise BARRE


Dans ce panel, Louise BARRE a souhaité insister à la fois sur les déterminants politiques et économiques à l’origine des réseaux de commercialisation, et remettre en question l’image d’une alimentation toujours locale ou issue d’un milieu écologique déterminé. L’élevage et le commerce de la viande bovine au Congo belge, développés à partir des années 1920 pour améliorer les rations alimentaires des travailleurs industriels, illustrent la façon dont les consommations alimentaires ont aussi été considérablement modifiées, en particulier dans le cadre d’un régime extractiviste colonial. Louise BARRE a présenté une synthèse historiographique des travaux sur l’élevage industriel en Afrique de l’Est et du Sud, afin de mettre en évidence quelques hypothèses d’un travail qu’il lui reste encore à mener sur l’Afrique centrale.

Atelier 27 – Pour une histoire économique et fiscale de l’Afrique subsaharienne précontemporaine – Réseaux de commerce et transactions

Anaïs Wion & Samuel F. Sanchez

Présentation :

Ce double panel entend prendre la mesure des études en cours sur l’histoire économique et fiscale de l’Afrique avant les colonisations européennes de la fin du XIXe siècle. Il réunit dix chercheurs et chercheuses afin de promouvoir la connaissance des fonctionnements économiques avant les colonisations et de contribuer à la structuration d’un réseau académique international. Il est structuré autour des deux thèmes suivants : « Réseaux de commerce et transactions » puis « Traite et esclavage, une histoire de valeurs ». Il couvre une périodisation large, allant du Moyen-Âge au XIXe siècle et aborde des aires géographiques distinctes : Sahara, Sénégambie, Madagascar, Éthiopie, Soudan. Les communications éclairent des angles morts de l’historiographie, telle la capacité des États sahéliens médiévaux et modernes à élaborer des règles commerciales et fiscales, et interrogent des poncifs historiographiques comme le lien de causalité entre essor du commerce atlantique et déclin du commerce caravanier à l’époque moderne. Les stratégies d’extraversion des constructions politiques sont examinées pour comprendre, par exemple, l’essor du capitalisme soudanais au XIXe s. Les communications mettent en valeur des corpus de sources originaux et très diversifiés qui permettent de comprendre, par exemple, l’ascension des marchands indiens en Éthiopie à la période contemporaine. Le deuxième panel, interrogeant la notion de valeur dans le contexte de la traite des esclaves, explore la question de l’établissement des prix des esclaves, non seulement dans l’Afrique atlantique mais aussi dans l’océan Indien (Mascareignes). Il s’agit de chercher à comprendre à travers l’étude des prix les conséquences économiques et sociales de ce phénomène historique majeur dans l’histoire du continent africain. Enfin, l’agentivité des marchands africains et les modalités d’échanges propres au marché sénégambien clôtureront cette réflexion collective visant à aborder avec des angles nouveaux la question du commerce esclavagiste.

Des caravanes aux maisons de commerce : l’échelle régionale de la Corne de l’Afrique

Dominique HARRE

Au XIXe siècle, la Corne de l’Afrique a connu des transformations politiques et économiques ainsi qu’un essor commercial. Le système de commerce caravanier et les maisons de commerce le long du littoral, de la Somalie à Massawa, ont été reconfigurés. Cette présentation examine le rôle des marchands et des maisons de commerce non européens dans les territoires éthiopiens dès le milieu du XIXe siècle. Ces changements, favorisés par l’unification politique de l’Éthiopie, ont permis des connexions plus directes avec les réseaux commerciaux de la Mer Rouge.

La présentation s’appuie sur des exemples issus de recherches sur l’entrepreneuriat indien en Éthiopie. Le premier concerne un marchand indien à la cour d’Ankober, montrant la continuité des relations entre marchands et pouvoir politique. Le second exemple décrit les maisons de commerce translocales, actives à Aden, Djibouti, et en Éthiopie, et leur interaction avec le commerce caravanier. L’analyse explore des sources diverses, y compris des récits de voyage et des données empiriques, pour mieux comprendre cette période charnière du commerce en Afrique de l’Est.

Jour 1 – Table ronde : Visas et terrains empêchés : comment agir ?

Intervenant·es

Sébastien LAUSSEL, Directeur de Zone Franche — Le Réseau des musiques du monde
Stéphanie Lima, Directrice adjointe du GIS Afrique
Oumarou Hamani, Directeur scientifique du LASDEL
Dominique Dumet, conseillère scientifique Afrique, IRD
Sylvain Cloupet, ancien attaché universitaire au Niger et représentant de l’IRD au Maroc
Anne-Françoise Zattara, vice-présidente relations internationales de l’Université de la Réunion, vice-présidence de la commission Afrique du Forum Campus France
Barbara Motovitch, Directrice de l’IFRA Ibadan-Nigeria Joachim Yameogo, Mathématicien du CIMPA

Descriptif:
Partant du constat qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir des visas pour la venue de chercheurs et chercheuses venant du continent africain, la table ronde s’inscrivait dans la suite de la tribune portée par les différents GIS du CNRS et de différentes initiatives de plaidoyer, dans un contexte marqué par des difficultés grandissantes, voire des pratiques arbitraires, dans la délivrance des visas pour les collègues et étudiants du continent africain. La privatisation de l’accès aux consulats pour la prise de rendez-vous, l’inflation des documents demandés allant parfois au-delà des exigences règlementaires constituent un coût temporel, humain et financier qui met en péril les partenariats scientifiques existants et la construction de nouvelles formes de collaboration, ainsi que la volonté de « rayonnement international » portée pourtant par les institutions universitaires et de recherche et le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Dans le prolongement de la question de l’accès aux visas, se pose plus globalement la question de la circulation des chercheur·ses et étudiant·es qui reste marquée par des différenciations, des inégalités non seulement entre Europe et Afrique mais aussi à l’intérieur du continent africain. Ainsi, la notion de « terrains empêchés » utilisés en Europe pour désigner des espaces devenus inaccessibles pour les chercheur·ses occidentaux, soit en raison des contextes sécuritaires, soit sur « coloriage » du MEAE (ou sur décision des FSD des institutions universitaires et de recherche), pourrait être élargie. En effet, l’accès des chercheur·ses africains à des terrains européens par exemple, reste souvent inaccessible faute de financement et/ou d’outils d’appui à la mobilité et au partenariat adéquats. Dans la continuité, des formes de « sous-traitance » de terrains de recherche peuvent se développer dans des contextes où les chercheur·es occidentaux n’ont plus d’accès directs. Ces différentes situations qui s’articulent à la réflexion sur les terrains empêchés et les inégalités de circulation interrogent les modalités de collaborations et de partenariats entre les continents.

Ainsi l’objectif de cette table-ronde est d’ouvrir le débat sur les circulations des chercheur·es et étudiant·es, mais aussi des acteurs culturels, de la société civile du continent africain, qui font tous face aux mêmes difficultés. Quelles sont les pratiques, formelles ou informelles, des différents acteurs et institutions pour face aux contraintes imposées aux circulations ? Comment construire des convergences dans les modes de plaidoyer et d’actions, sans se restreindre à des corps de métiers spécifiques ? Comment construire des modes de collaboration équitable entre acteurs et institutions ?
Après les retours d’expérience des participants, des solutions ont été évoquées pour pallier les difficultés grandissantes telles que les visas flottants et les visas groupés. L’enjeu est également de prouver que cette politique restrictive peut engendrer l’effet inverse de ce qui est voulu (éviter les immigrations clandestines une fois que la personne est sur le territoire français). Le risque de la perte de talents et de projets qui peuvent être récupérés par des puissances étrangères facilitant cette circulation des acteurs a aussi été évoqué.

Jour 2 – Table ronde des Revues (Amphithéâtre 3)

Modération : Marie-Aude Fouéré (EHESS)

Revues représentées :
Afriques, débat, méthodes et terrains d’histoire ;
Afrique(s) en mouvement ;
Anthropologie & développement ;
Cahiers d’Études africaines ;
Esclavages et post-esclavages ;
Global Africa ;
Politique africaine ;
Revue d’histoire contemporaine de l’Afrique ;
Sources. Matériaux et terrains en études africaines.

Descriptif :
Les revues en études africaines font face au défi de répondre à des enjeux théoriques, épistémologiques et éthiques propres à leur champ, mais aussi de s’ajuster aux changements structurels de l’université, de la recherche et de l’édition dans les Nords et les Suds. Peuvent-elles, et comment, intégrer ces transformations scientifiques et matérielles dans leur ligne éditoriale, leur forme de gouvernance, leurs pratiques éditoriales et leurs modes de diffusion ? Quels positionnements et quels fonctionnements inventer pour répondre aux appels à décoloniser et à démocratiser tant les savoirs produits que les pratiques scientifiques et éditoriales tout en maintenant rigueur scientifique et disciplinaire ? Que faire face à la massification des articles à traiter et à accompagner – de leur soumission à leur publication – pour être plus qu’une caisse de résonance de la mondialisation de la production scientifique ? Et face aux asymétries de pouvoir et de savoir qui structurent le champ scientifique globalisé, quels échanges et collaborations, quelles formes de relocalisation des lieux de production et de diffusion de la connaissance imaginer et mettre en place ?

Jour 3 – Table-ronde : « Les écritures alternatives : un renouvellement des enjeux épistémologiques et éthiques pour la recherche en Afrique ? »

Descriptif :
L’expression « écritures alternatives » s’est imposée en quelques années pour désigner des démarches articulant pratiques créatives, artistiques et scientifiques. Cependant, derrière cette expression se retrouvent des positionnements, des méthodologies et des pratiques extrêmement diverses. Ainsi, la banalisation en cours des « écritures alternatives » renvoie à une temporalité institutionnelle et scientifique incitant les chercheur·ses à diffuser plus largement leurs travaux auprès de publics divers, hors du cadre académique. Cette envie s’inscrit aussi dans le cadre de réflexions épistémologiques et méthodologiques portées par les chercheur·ses touchant tant à leur positionnement sur leur terrain de recherche qu’à leur place dans les mondes sociaux. Cependant, d’autres démarches qualifiées aujourd’hui également d’écritures alternatives s’ancrent dans la continuité de pratiques disciplinaires plus anciennes et épistémologiquement construites, telles l’anthropologie visuelle, la cartographie, les arts du spectacle… Quel que soit le cheminement vers les écritures alternatives, la multiplication des outils, notamment des outils numériques, mais aussi la multiplication des supports et leur formalisation (via par exemple des collections spécifiques, via des musées, des types de médias…) ont ouvert un champ des possibles jusqu’alors inédit.

Cette table-ronde visait à questionner ces écritures alternatives et leurs dynamiques contemporaines. Comment les différents cheminements qui ont conduit les chercheur·ses vers les écritures alternatives dialoguent-ils entre eux, en particulier entre les disciplines plus habituées de ces pratiques et celles qui les découvrent ? Comment se sont construits progressivement les dialogues entre chercheur·ses et artistes autour de ces démarches de création ? Comment les un·es et les autres choisissent-ils les outils, en fonction des compétences, des affinités, des possibilités matérielles… ?

Un autre volet questionné par ces écritures alternatives touche aux dimensions éthiques. Du point de vue épistémologique, elles questionnent le positionnement sur le terrain, dépassant la seule réflexivité pour ouvrir vers des enjeux de co-construction et de restitution. Comment se négocie la place de ceux que l’on nomme classiquement les « enquêtés » dans les écritures alternatives, en particulier lorsqu’ils sont mis à contribution dans le processus créatif ? Comment ces enjeux éthiques sont-ils négociés lors de collaboration entre chercheur·ses et artistes, métiers qui ne sont pas toujours soumis aux mêmes règles, ni mêmes aux pratiques sur le terrain ? Enfin, en posant des enjeux de co-construction et/ou de restitution, les écritures alternatives peuvent-elles ouvrir la réflexion vers un renouvellement épistémologique et méthodologique de la recherche en Afrique ?

Cette table-ronde a réuni des chercheur·ses pratiquant les « écritures alternatives » à partir de différents supports – roman, film, photo, théâtre –, dans différentes régions du continent africain et issues de diverses disciplines des sciences sociales.

Intervenant·es :

Florence Boyer, IRD, URMIS : modération.

Émilie Guitard est anthropologue et chargée de recherche au CNRS (UMR PRODIG) et associée à LAM. Depuis plus de dix ans, elle travaille sur les rapports à l’environnement dans plusieurs villes d’Afrique sub-saharienne, pour comprendre comment les citadins et les pouvoirs publics le perçoivent et interagissent avec ses éléments au quotidien. La collaboration sur son terrain avec les artistes plasticiennes les Sœurs Chevalme et le photographe documentaire Ọbáyọmí A. Anthony lui permet de rendre compte sur un mode alternatif poétique d’autres dimensions des relations à la nature en ville, de l’ordre du sensible ou de l’attachement.

Chloé Buire est chargée de recherche en géographie au CNRS / LAM.

Durant la table ronde, elle est revenue sur son expérience de création du film Histórias do Kakwaku. Ce documentaire collectif a été réalisé en 2022 dans le cadre d’un atelier d’initiation au cinéma documentaire qu’elle a animé au sein de Projecto Agir, un mouvement citoyen militant pour la démocratie locale à Luanda, municipalité de Cacuaco (Angola). Ce film a été projeté dans le cadre de ce colloque, suivi d’une discussion par Dorothée Boulanger, enseignante à Oxford University (https://www.mod-langs.ox.ac.uk/people/dorothee-boulanger)
En savoir plus : https://www.lam.sciencespobordeaux.fr/mention-honorable-pour-le-film-historias-do-kakwaku-lors-du-festival-docluanda-2023/

Jean-Baptiste Lanne, Université de Paris, CESSMA
auteur de Des vies en veille : géographies abandonnées des acteurs quotidiens de la sécurité à Nairobi

Ce livre est issu de sa thèse soutenue en 2018 dont « le sujet de la thèse porte sur les individus en charge de « veiller » sur la ville qui sont en position socialement dominée, qu’ils soient gardiens de résidences ou membres du groupe de jeunes exerçant des formes de surveillance dans les quartiers de bidonvilles dans un contexte plus large du thème de la sécurité dans la capitale du Kenya, Nairobi. L’approche est tout à la fois géographique, à travers l’étude des espaces pratiqués et imaginés, ethnographique, le lecteur suivant le parcours de nombre de veilleurs qui lui deviennent familiers au fil des chapitres, et poétique, J.-B. Lanne ayant eu recours à une méthode encore marginale en géographie, celle de la co-écriture poétique avec des personnes dont il s’est rendu compte que la méthode classique du récit de vie était vaine.

Ces trois approches — géographie, ethnographie, poésie — composent trois « sensibilités », très originales, puissantes, qui happent le lecteur à travers des chapitres conçus comme autant de fragments, à l’image de la réalité urbaine et humaine dont il tente de rendre compte : face à l’incertitude des existences, à la fragmentation des espaces et des vies, incarnées notamment par les processus de l’attente, du jeu et de la violence, la structure même de la thèse fait écho à cette dispersion des mondes de terrain qu’il côtoie et qui sont autant de « champs d’expériences quotidiennes partagées » ».

Extrait de : Catherine Fournet-Guérin. Jean-Baptiste Lanne, auteur de Des vies en veille : géographies abandonnées des acteurs quotidiens de la sécurité à Nairobi. Annales de géographie, 2021, pp.105-116. hal-03894481 . https://hal.science/hal-03894481/document

Boukary Tarnagda est artiste comédien et écrivain, titulaire d’un doctorat en études théâtrales depuis 2018 suite à la soutenance de sa thèse intitulée : « Processus de création théâtrale contemporaine en Afrique subsaharienne francophone : vers une poétique de la relation ».
En savoir plus

Il est venu présenter son expérience en tant qu’artiste et enseignant chercheur, ainsi que le festival international de théâtre de la jeunesse universitaire de Bobo-Dioulasso (FITHEJEU), qu’il a mis en place en mai 2024 avec comme thème « Les arts en milieu universitaire : quels défis pour une plus grande pratique ».

Une nouvelle importante a été annoncée durant la table ronde. La nécessité de mener un état des lieux de ces « écritures alternatives », aussi appelées « recherche-création » a donné lieu au montage du projet CASSAF (Etat des lieux des Créations Arts/Sciences Sociales en études AFricaines), qui sera amorcé de novembre 2024 à aout 2025, avec notamment le recrutement d’un.e chargé.e d’enquête de niveau postdoctoral avec pour mission de répertorier les projets et acteurs utilisant de telles méthodes associant arts et sciences humaines et sociales.
En savoir plus : https://etudes-africaines.cnrs.fr/lactualite-du-gis/projet-cassaf-etat-des-lieux-des-creations-arts-sciences-en-etudes-africaines-2024-2025/

Nous pouvons également noter l’existence, depuis décembre 2022, de journées d’étude « Ecritures alternatives de la recherche en SHS », consacrées aux formes non académiques de l’écriture scientifique, organisées par la MSH Ange-Guépin et le laboratoire AAU-CRENAU.

La troisième édition de cette manifestation se déroulera du 6 au 8 novembre 2024 à Nantes et aura pour thème « Le récit scientifique en question ».
En savoir plus : https://ecritures-alt.sciencesconf.org/resource/page/id/10